
Non-lieu dans l’affaire des lycéens menottés à Mantes-La-Jolie : « une dénaturation médiatique » pour l’avocat des policiers
ENTRETIEN. Les images avaient fait hurler la gauche. En décembre 2018, 151 lycéens avaient été interpellés à Mantes-la-Jolie et contraints de s’agenouiller, mains sur la tête, lors d’une intervention de police filmée et largement diffusée sur les réseaux sociaux. L’intégralité des policiers impliqués a écopé d’un non-lieu. Une victoire pour leur avocat, Louis Cailliez.
Valeurs actuelles. Les policiers mis en cause dans l’affaire de Mantes-La-Jolie ont bénéficié d’un non-lieu. Pourriez-vous nous rappeler les faits ?
Louis Cailliez. Le 6 décembre 2018, à Mantes-la-Jolie, après trois jours d’émeutes urbaines particulièrement graves autour de plusieurs lycées aux abords de la cité du ValFourré, la police avait interpellé 151 participants à un attroupement armé. Une vidéo devenue virale avait suscité un tollé national parce qu’elle montrait les lycéens alignés à genoux, mains sur la tête, certains menottés dans le dos – dans l’attente de leur palpation de sécurité de vérification de port d’arme puis de leur transport en garde à vue – avec ce commentaire de la part du policier qui les filmait : « Voilà une classe qui se tient sage ». Une information judiciaire a été ouverte à l’encontre des policiers suite à la plainte avec constitution de partie civile de 7 lycéens parmi la centaine d’interpellés, des chefs de torture et acte de barbarie aggravée, violences volontaires aggravées ou encore atteinte arbitraire à la liberté individuelle. Mais après avoir investigué, interrogé mes clients policiers en vue de leur éventuelle mise en examen, puis recueilli nos observations, les magistrats instructeurs ont finalement estimé qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner un procès pénal à leur encontre. Et, de fait, l’enquête n’a pas décelé l’ombre d’une faute commise par mes clients, qui sont complètement innocentés de ces accusations outrancières et infondées.
Recontextualisons : les policiers n’ont pas eu affaire à de joyeuses manifestations lycéennes mais à d’intenses violences urbaines sans aucune revendication, montant crescendo dans la violence trois jours durant : incendies de véhicules, pluies de mortiers par des individus cagoulés et armés, poubelles en feu montées en barricades, barrages de caddies et de palettes en flammes, et surtout constitution de brasiers au milieu de la route avec une quinzaine de bouteilles de gaz dégoupillées puis enflammées (!) après avoir été volées dans les maisons avoisinantes. La décision d’interpellation du groupe entier a donc constitué un coup d’arrêt salvateur : il fallait arrêter le processus d’escalade incontrôlée avant l’inéluctable drame.
La justice reconnaît aujourd’hui qu’il n’y avait aucune alternative sérieuse et viable à disposition de mes clients, qui ont opté pour la seule réponse adaptée, par ailleurs validée par l’autorité judiciaire, pour gérer une telle situation. Mode opératoire qui a été jugé nécessaire et proportionné au vu des circonstances exceptionnelles.
Pourquoi avait-elle, d’après vous, suscité un tel emballement médiatique ?
Louis Cailliez. Cette affaire est un cas d’école archétypal de dénaturation médiatique et d’instrumentalisation idéologique d’un dossier pénal. Il faut se rappeler qu’en 2018, les médias étaient partis en trombe en prenant pour parole d’évangile le récit tronqué de certains lycéens et de leurs relais politisés, sans prendre le temps d’enquêter pour comprendre les circonstances particulières de cette affaire. Combien de journalistes ont fait un travail contradictoire, en incluant le son de cloche des policiers ? Que n’ai-je pas lu et entendu à l’époque, entre cris d’orfraie et indignations opportunistes ? Il y a eu très clairement un choix des mots de pure propagande anti-police (« rafle » ; « torture » ; « barbarie » ; « bavure » ; « traitement inhumain et dégradant ») faisant fi de la réalité factuelle de cette affaire. Le mal est fait… Combien de français auront connaissance du non-lieu judiciaire six ans après ? On fait allègrement croire à des millions de citoyens que des enfants des quartiers populaires seraient humiliés, réprimés et torturés de manière inique dans des rafles policières, puis on ne fait pas le service après-vente d’information minimal qui s’impose quand la vérité rejaillit… Seuls Le Parisien et Le Figaro ont repris la dépêche AFP annonçant le non-lieu ! Nous sommes en droit d’attendre, à défaut d’un mea culpa, au moins une démarche d’honnêteté intellectuelle de la part de tous les autres grands médias nationaux qui avaient sorti en cœur des dizaines d’articles à charge à l’époque, et qui choisissent aujourd’hui de cacher à l’opinion publique le fait que la justice estime que les policiers ont bien agi.
Qu’est-ce que cette polémique révèle de notre époque ?
Louis Cailliez. La polémique liée à cette affaire est très symptomatique de la déresponsabilisation systématique propre à notre époque. Pourquoi notre bulle médiatico-politique, quand elle fait face à un extrait partiel – et partial – d’une affaire complexe, préfère-t-elle adopter d’emblée un parti pris de victimisation des interpellés et de criminalisation de ceux qui gardent la paix, plutôt que le contraire ? L’emballement médiatique a selon moi procédé d’une démagogie et d’une culture de l’excuse bien naïves. On choisit à dessein d’employer les qualificatifs inoffensifs de « jeunes » ou « lycéens ». Cela n’est pas inexact mais c’est incomplet : pourquoi ne pas ajouter « émeutiers », « fauteurs de troubles » ou « participants à un attroupement armé » ? On parle quand même d’individus certes jeunes, mais dont beaucoup étaient visages masqués, porteurs d’armes, et acteurs actifs ou passifs de violences urbaines particulièrement graves et potentiellement létales ! Quand on brûle des voitures et des bonbonnes de gaz au lieu d’être à l’école, est-on encore un jeune manifestant pacifiste victime de répression policière ou mérite-t-on un rétablissement du rapport de force dans les conditions permises par la loi ? Il faut lire et relire à cet égard les travaux de Maurice Berger, spécialiste de l’hyper-violence adolescente de notre époque, pour comprendre quelle réponse est véritablement adaptée et efficiente pour eux : la butée, l’interdit et la limite ne sont reçus, compris et intégrés que lorsque ils sont incarnés avec autorité. Autorité qui n’est aucunement antinomique avec le respect de leur dignité, bien au contraire, puisque elle œuvre à leur responsabilisation. Oui, cette vidéo a pu impressionner et interroger, mais je suis frappé par le fait que notre époque est plus indignée et outrée par la vidéo de cette « classe qui se tient sage » que par un barrage meurtrier de bouteilles de gaz enflammées en pleine ville !
Dans quel état d’esprit sont vos clients ?
Louis Cailliez. Mes clients m’ont fait part de leur soulagement et de leur gratitude envers les procureurs et juges d’instruction de ce dossier, qui ont appliqué le droit, et uniquement le droit. Ils ont été informés de l’annonce d’un appel interjeté par les parties civiles devant la chambre de l’instruction, mais ils attendent désormais avec confiance et sérénité l’épilogue judiciaire de cette histoire montée en épingle avec l’excès qui caractérise malheureusement les temps qui courent. Mais rappelons avec Talleyrand tout ce qui est excessif est insignifiant.