
Au terme d’une enquête a minima, le parquet de Paris a classé sans suite la plainte de la journaliste Dora Moutot et de la militante féministe Marguerite Stern visées par des appels aux meurtres lancés par le groupuscule d’ultragauche Paris-luttes.info. Elles venaient de publier un livre sur les dérives de l’idéologie transgenre…
La justice entend apporter une réponse rapide aux victimes. Si l’effort est louable, il peut être dévastateur quand il laisse l’impression que l’enquête a été bâclée. La journaliste Dora Moutot et la militante féministe Marguerite Stern, co-autrices du livre Transmania sur les dérives de l’idéologie transgenre, viennent d’en faire les frais.
La plainte déposée le 17 octobre dernier contre le collectif d’ultra-gauche radicale Paris-luttes.info a été classée sans suite, la justice n’ayant pas réussi à retrouver les auteurs d’une tribune publiée sur ce site antifa. Le texte, signé par « une bande armée de travelos qui voulaient en découdre » appelaient à « l’éclatage [sic] de têtes » des deux victimes, préconisant même le recours à la « matraque télescopique ».
« Nous sommes de celles qui sommes venues pour en découdre à l’arme blanche, aux explosifs et aussi sans rien dans les poches, ce 5 octobre à la péniche où se rassemblaient Stern, Moutot et leurs copains fachos », revendiquaient alors les auteurs de ce texte. Des propos ultraviolents qui ont eu comme conséquence l’annulation de plusieurs séances de dédicaces et de présentation du livre. Ce musèlement par la menace a même conduit le ministère de l’Intérieur à envisager une protection rapprochée pour les deux victimes.
Après la plainte des victimes, le parquet de Paris a saisi la section AC2 à laquelle est rattachée le Pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH). Les investigations ont été confiées à la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) de la police judiciaire parisienne. Cinq mois plus tard, le parquet de Paris a classé l’affaire sans suite, au motif que « l’enquête n’a pas permis d’identifier la personne ayant commis l’infraction », selon l’avis à victime consulté par Europe 1.
L’avocat des deux femmes, Me Louis Cailliez, s’est alors tourné vers la cour d’appel de Paris pour contester ce classement. Avec à l’appui, un travail minutieux de spéléologie judiciaire listant douze erreurs, approximations ou oublis, a priori anodins, mais aux conséquences désastreuses pour la suite de l’enquête.
Selon les informations d’Europe 1, le parquet général a confirmé le 11 août dernier la décision du parquet de Paris. « Le classement sans suite doit être maintenu. Les multiples investigations réalisées au cours de l’enquête préliminaire n’ont pas permis d’identifier les auteurs des faits », indique le ministère public. « Quel message cela renvoie-t-il aux militants, à la droite ? Les policiers ont enquêté, ils ont récupéré des identités. Mais le travail de la justice a été défaillant, regrette Marguerite Stern, contactée par Europe 1, encore sous le choc de l’assassinat, la veille aux Etats-Unis, de l’influenceur pro-Trump, Charlie Kirk. Dans ces cercles trans, que j’élargis à la gauche, il y a de moins en moins d’arguments, de paroles, de volonté de discuter. Les appels à la haine, à la violence physique se multiplient. Jusqu’aux meurtres. »
Recherche élémentaire
L’enquête judiciaire, effectivement, n’a pas vraiment été poussée au bout. Les magistrats en charge des investigations ont commis plusieurs erreurs de retranscription, ce qui a été déterminant dans la conduite du dossier, regrettent les plaignantes. Les arguments de l’avocat, transmis au parquet général, sont convaincants.
A commencer par l’absence de recherche sur le responsable du site internet, Paris-luttes.info, qui a diffusé le texte de menaces. En l’absence de mentions légales sur le site, les magistrats se contentent d’une recherche élémentaire sur le moteur de recherche « WHOIS ». Ils entrent l’adresse URL de la page où se trouve la tribune. Plusieurs informations concernant le nom de domaine et l’hébergement du site apparaissent alors. Ces informations auraient pu être exploitées, ce qui n’a pas été le cas. Aucune réquisition judiciaire menant vers les hébergeurs n’a été réalisée.
Les investigations sur X (ex-twitter) du compte @Paris_luttes, relié au site internet, font elles aussi l’objet de lacunes. Les magistrats ont tenté d’identifier le titulaire du compte. Ils ont envoyé une réquisition judiciaire à X qui leur a transmis en retour une adresse IP ainsi qu’un numéro de téléphone portable. L’adresse IP de la création de cette page X n’a pas fait l’objet d’investigations supplémentaires, ce qui aurait pu permettre d’identifier la personne qui avait créé ce compte.
Le numéro de téléphone rattaché au compte a, lui, bien fait l’objet d’une nouvelle réquisition. Cette fois-ci à l’opérateur qui fournit alors un prénom, un nom, une date de naissance, une adresse et même un numéro de passeport. Autrement dit, à ce moment-là, les magistrats du PNLH ont entre leurs mains l’identité complète de la personne qui a créé et qui détient le compte twitter rattaché aux antifas de Paris-luttes.info. Sauf que le vice-procureur qui retranscrit sur le procès-verbal le nom de ce suspect fait une faute dans le patronyme. Et c’est cette identité tronquée qui sera reprise ensuite lors de la réquisition aux services fiscaux. Ces dernier indiqueront alors, à juste titre, que cette identité n’apparait pas dans leurs bases de données.
Erreur de numéro de téléphone
Un autre oubli semble plutôt étonnant venu de la part de magistrats spécialisés. Ils demandent à l’opérateur de fournir les appels entrants et sortants du numéro de téléphone associé au compte X. Peut-être, parmi eux, se trouvent le responsable du site internet qui a publié la tribune appelant au meurtre des victimes. Voire même, certains des auteurs de ce texte. En réponse, l’opérateur indique que pour cela, il faut que la justice s’adresse à la maison-mère. Aucune suite, aucune réquisition, n’a été relancée par le parquet.
Autre erreur de retranscription. Les magistrats vont se tromper sur un chiffre du numéro de téléphone rendant plusieurs réquisitions judiciaires infructueuses auprès d’institutions publiques et privées. « Le ministère public a décidé de stopper ses investigations à ce stade alors que les enquêteurs de la BRDP disposaient pourtant des noms, adresse et numéros de téléphone permettant d’identifier, localiser, perquisitionner et placer en garde à vue le titulaire de la ligne téléphonique appartenant au compte X de Paris Luttes Info », écrit alors Me Louis Cailliez dans son recours.
Sur Facebook, le compte Paris Luttes Info est lui aussi passé sous les radars du PNLH, malgré les retours positifs de Meta qui a fourni une adresse mail ainsi que le nom et le prénom du titulaire du compte. Aucun autre acte d’enquête n’a été engagé ni pour rechercher, retrouver ou contacter cet individu qui a publié un post en relayant la tribune et sans doute à l’origine de la création du compte Facebook.
Nouvelles investigations ?
« Une telle accumulation est sidérante. J’ai pourtant pointé auprès du parquet les erreurs et les lacunes à corriger, mais il veut manifestement en rester là », regrette Me Louis Cailliez, sollicité par Europe 1. « Je comprends que mes clientes soient outrées. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer un tel fiasco mais in fine, le message envoyé aux victimes par la justice est catastrophique. C’est celui d’une impunité judiciaire totale accordée à des transactivistes néo-terroristes que tout permet pourtant d’identifier et de faire juger », poursuit-il.
L’avocat a listé des dizaines d’actes d’enquête à réaliser pour retrouver les auteurs de ce texte appelant à la violence et aux meurtres de Dora Moutot et de Marguerite Stern. Il compte bien relancer les investigations en saisissant le doyen des juges d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile. Ce qui entraînerait mécaniquement l’ouverture d’une information judiciaire lui permettant alors de faire des demandes d’actes.
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