
En 2024, une tribune publiée sur un site antifasciste appelait explicitement à faire usage de violences contre Marguerite Stern et Dora Moutot. Pourtant, la plainte déposée par les deux militantes a été classée sans suite, faute d’investigations suffisamment approfondies.
Le 11 août 2025, un mois avant l’assassinat de l’influenceur républicain Charlie Kirk aux États-Unis, Marguerite Stern et Dora Moutot apprennent que le parquet général confirme le classement sans suite de leur plainte pour menaces de mort. Une décision qui les sidère : quelques mois plus tôt, le 26 mars, le pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH) avait classé le dossier au motif que les auteurs de la tribune incriminée, publiée sur un site antifasciste, n’avaient « pas pu être identifiés ».
Problème : selon leur avocat, Me Louis Cailliez, plusieurs pistes sérieuses étaient bel et bien disponibles. Nom, adresse, date de naissance, domiciliation fiscale, appels sortants vers France Travail… tout figurait dans le dossier. Mais des erreurs grossières ont suffi à paralyser l’enquête. « C’est incompréhensible », déplore l’avocat, qui y voit une série de manquements de nature à saboter les investigations.
Résultat : le texte visé par la procédure, où des militants de l’ultragauche écrivent noir sur blanc qu’ « il faudra bien que la peurs’installe durablement dans leur camp » et que l’ « éclatage des têtes » de Marguerite Stern et Dora Moutot était nécessaire, est toujours en ligne.
Retour en arrière. Samedi 5 octobre 2024. Sur une péniche amarrée au quai de la Tournelle, dans le Ve arrondissement de Paris, la maison d’édition Magnus organise sa traditionnelle séance de dédicaces annuelle. L’atmosphère est chaleureuse et conviviale : Marguerite Stern et Dora Moutot, auteurs du livre-enquête Transmania, paru quelques mois plus tôt, consacré aux dérives de l’idéologie transgenre, rencontrent leurs lecteurs, qui, comme elles, s’inquiètent de ce phénomène. « Ces moments sont précieux pour nous, témoigne Marguerite Stern. Ils nous permettent de donner du sens à notre engagement. »
Mais derrière l’apparente décontraction de l’événement, la prudence est de mise. Une société de sécurité privée, spécialement engagée pour l’occasion, veille au bon déroulement de la séance de dédicaces. Des groupes antifascistes ont en effet prévu de se rassembler pour empêcher la tenue de la rencontre, en raison de la présence des deux militantes. À l’extérieur, des policiers de la brigade de répression de l’action violente motorisée (Brav-M) commencent à affluer pour surveiller le quai. Ce n’est qu’au terme de la journée que Marguerite Stern et Dora Moutot apprennent l’ampleur de la mobilisation : 64 individus interpellés, certains armés et cagoulés, deux d’entre eux étant déférés pour comparution immédiate.
Pour certains médias de gauche, des “gamins” et des “Bisounours queer”
Ces militants “antifas” se sont mobilisés à la suite d’un appel du collectif Assemblée antifasciste relayé par le site Paris-luttes. info, qui recense tous les événements de l’extrême gauche parisienne. « Comme à chacune de nos interventions publiques, des individus ont tenté de nous atteindre. C’est très anxiogène, confie Marguerite Stern. J’ai mis plusieurs jours à décompresser. » Certains médias de gauche, à l’instar du quotidien Libération ou de Streetpress, tentent de présenter ces perturbateurs sous un jour favorable en les décrivant comme de simples « gamins » ou des « Bisounours queer ». Pourtant, une tribune publiée le 14 octobre sur Paris-luttes. info, intitulée Trans ultra violence , contredit cette lecture. Dans une prose longue et volontairement jargonneuse, les auteurs revendiquent leur présence à l’événement et détaillent l’arsenal qu’ils y ont apporté : « matraques télescopiques, de fumigènes, de mortiers d’artifice, de pétards, d’œufs de peinture ou d’un opinel », précisant que ce dernier « traînait au fond d’un sac ». Ils se félicitent que leur accoutrement « black bloc » (tenue sombre et cagoule dissimulant le visage) ait provoqué la détresse des deux militantes, les poussant à « chouiner dans d’innombrables tweets sur les (valides et légitimes) menaces de mort et atteintes à leur vie ».
Les auteurs ne se contentent pas de revendiquer leur présence : ils assument pleinement leur volonté de faire usage de la violence et de la terreur pour faire taire Marguerite Stern et Dora Moutot. « N’en leur [sic] déplaise, certaines d’entre nous préfèrent les mortiers et les télescos [matraques télescopiques, NDLR] à aller agiter des drapeaux à dix kilomètres pour faire de jolies photos », écrivent-ils au sujet de ceux qui auraient tenté de les faire passer pour des « pacifistes ».
« Certaines auraient coulé la péniche et tous ses fafs si nous en avions eu l’occasion. […] Il faudra bien que la peur s’installe durablement dans leur camp et dans leurs têtes pour que leurs idées mortifères disparaissent à tout jamais. Cela ne pourra se faire que par la force et la violence, et donc par l’éclatage des têtes en question. » Et d’affirmer dans un parallélisme terrifiant : « Elles désirent notre mort, et nous désirons la leur. »
Ces mots plongent Marguerite Stern et Dora Moutot dans l’angoisse et la peur. D’autant que moins d’un mois plus tôt, l’Institut des sciences sociales, économiques et politiques (Issep), école de sciences politiques lyonnaise dans laquelle Marguerite Stern devait tenir une conférence, avait été incendié par des antifascistes qui s’y opposaient. Un acte criminel assumé explicitement dans ce même texte.
De nombreuses informations n’ont pas été exploitées par le parquet
Le 16 octobre 2024, assistées de Me Louis Cailliez, Marguerite Stern et Dora Moutot déposent plainte contre le site ayant publié la tribune et contre X, pour “menaces de mort et provocation à commettre un crime”. L’affaire est confiée au PNLH, un parquet spécialisé créé en 2021 pour traiter les dossiers particulièrement sensibles en matière de haine en ligne. Le 26 mars dernier, les plaignantes reçoivent la réponse du parquet : leur plainte est classée sans suite. L’enquête n’a « pas permis d’identifier les personnes ayant commis l’infraction », justifie la juridiction.
Me Cailliez analyse minutieusement le volumineux dossier transmis par les magistrats. Il relève avec stupeur de nombreuses erreurs commises par les procureurs en charge du dossier.
Première anomalie : si les recherches effectuées par le parquet sur le site Paris-luttes. info via le moteur Whois ont révélé une adresse IP et un nom de domaine, ces informations n’ont jamais été exploitées par les magistrats. La tribune comprenant des menaces de mort n’a pas seulement été diffusée sur le site web, elle a également été partagée sur le compte Facebook nommé Paris Luttes Infos. Mais alors que Meta a fourni le nom de l’administrateur de ce compte au parquet, aucune investigation supplémentaire n’a jamais été réalisée. Pire : la tribune a aussi circulé sur un compte X (ex-Twitter). La société Lycamobile a communiqué aux magistrats l’identité et l’adresse de l’individu dont le numéro de téléphone est associé à ce compte. Malgré ces informations cruciales, aucune perquisition ni audition n’ont lieu. À la place, le parquet se contente d’adresser des réquisitions à la direction nationale d’enquêtes fiscales pour obtenir la domiciliation fiscale du détenteur du compte X. Mais les recherches restent infructueuses : le nom de famille retranscit par le parquet comporte une erreur, une lettre ayant été modifiée.
Si le parquet reçoit l’intégralité des appels sortants de ce numéro pendant la période du délit, il n’en fait rien : les personnes contactées par le détenteur du compte, dont l’identité est connue, ne seront jamais interrogées. Ultime erreur : le parquet constate que le téléphone a été utilisé pour joindre à plusieurs reprises France Travail. Mais une mauvaise retranscription du numéro de portable condamne l’approfondissement des recherches.
Entre djihadistes et transactivistes, des similitudes de méthodes
Malgré ces dysfonctionnements manifestes mis en lumière par Me Cailliez dans son recours hiérarchique, le parquet général confirme le classement sans suite, le 11 août 2025. « C’est incompréhensible, souligne l’avocat . Nous avons mis en évidence de nombreuses erreurs qui auraient dû relancer l’enquête. »
Déterminées à mener la procédure à son terme, Marguerite Stern et Dora Moutot se constituent partie civile. « C’est décourageant, commente Marguerite Stern. Nous devons nous battre pour être reconnues comme victimes alors qu’une tribune a mis nos têtes à prix. » Pour le moment, le texte demeure en ligne, accessible à tous. « Sans condamnation judiciaire, c’est la liberté d’expression qui prime », rappelle Louis Cailliez.
L’avocat, spécialiste de l’accompagnement des victimes du terrorisme islamiste, note d’inquiétantes similitudes entre les méthodes des militants transactivistes et les serviteurs du djihad : « Chaque procès terroriste que nous avons suivi montre comment certains mots sont utilisés pour activer des loups solitaires, témoigne-t-il. En changeant quelques termes dans cette tribune, on pourrait croire qu’elle a été rédigée par un dignitaire de Dae’ch. Ce n’est plus le mécréant mais la Terf qu’il faut terroriser et assassiner par tous les moyens. »
« Dora Moutot au fond du Rhin ! »
Les deux essayistes subissent depuis la publication de Transmania des vagues de haine et de menaces de mort. Elles sont régulièrement prises pour cible lors de manifestations et d’événements, sont en particulier accusées d’être “transphobes”, qualifiées de “Terf” – acronyme de trans-exclusionary radical feminist, une désignation péjorative des féministes excluant les femmes transgenres de la définition de “femme”. Leur tort : remettre en question certaines notions militantes sur le genre et alerter sur les traitements de transition sexuelle administrés à des mineurs. En mai 2024, des membres d’une association LGBT strasbourgeoise scandaient : « Dora Moutot au fond du Rhin ! » Plusieurs inscriptions appelant lesdites “Terf” à être brûlées vives ou tuées par balle ont été recensées dans l’espace public, des activistes d’ultragauche les ont reprises en slogans.
« J’ai accompagné plusieurs auteurs “sulfureux”, mais je n’ai jamais vu une telle rage que dans les milieux transactivistes. On a le sentiment qu’ils sont prêts à tout et ne mesurent pas la portée de leurs actes », s’indigne Diane Ouvry, attachée de presse de Magnus et porte-parole de Reconquête !, qui a supervisé de nombreux événements auxquels les deux femmes participaient. « À chaque sortie dans la rue, je crains de tomber sur un déséquilibré qui aurait pris cette tribune au pied de la lettre », s’inquiète Marguerite Stern.
La peur de Marguerite Stern et Dora Moutot est renforcée par l’assassinat de Charlie Kirk, le 10 septembre, abattu lors d’une conférence à l’université d’Utah Valley. « En reprenant les termes de ces militants d’ultragauche qui nous accusent de tous les maux, certains médias, associations et responsables politiques donnent un blanc-seing idéologique à ceux qui voudraient nous faire du mal. »