
Nezo, ici en photo avec un taser, faisait figure de meneurs. Crédits photo: DR
ENQUETE. Un adolescent de 16 ans a été interpellé, fin juin. Il est soupçonné d’être l’instigateur de trois embuscades, particulièrement violentes, qui se sont déroulées en Seine-Saint-Denis.
Mais que fait Gabriel ? Et avec qui ? Ce n’est pas dans ses habitudes de se mettre en danger. À 14 ans, cet adolescent de la région parisienne est plutôt casanier, du genre à jouer en ligne après les cours sur l’ordinateur installé près de son lit. Ce soir de janvier 2025, pourtant, sa mère, Christelle, s’inquiète. Officiellement, Gabriel dort chez un “ami de vacances”, à Saint-Denis, avec la bénédiction de son père, chez qui il vit une semaine sur deux. Mais Christelle n’est pas rassurée. Elle aimerait être certaine qu’il ne lui arrivera rien – surtout dans une ville comme Saint-Denis. Vers 19 heures, enfin, Gabriel l’appelle. Il se trouve devant une enseigne de restauration rapide, tout va bien, assure-t-il. Pour la persuader, il allume la caméra de son téléphone et montre brièvement le garçon qui l’accompagne. Sa mère respire, soulagée. Elle ne se doute pas un instant que son marche droit dans un piège. Lui-même, à cet instant, ignore tout de ce qui l’attend.
Car ce qu’il n’a pas dit à sa mère, c’est que le garçon qu’il a rejoint, qui se fait appeler “Nezo”, n’a rien d’un camarade de vacances. Il a fait sa connaissance deux ans auparavant, sur Internet, en jouant aux jeux vidéo. Ce qu’il n’a pas dit non plus, c’est que si Nezo n’est pas venu l’accueillir à la gare comme prévu, c’est qu’il était occupé… à dealer dans une cité. Et ce que Gabriel ne sait pas encore, c’est qu’à la fin du dîner, son “ami” va l’entraîner dans un guet-apens d’une brutalité inouïe.
« On va te mettre dans un coffre et demander une rançon à tes parents. »
Avant cela, Nezo le conduit dans la cage d’escalier d’une tour, ils sont bientôt rejoints par deux garçons, majeurs. Des complices. Là, à l’abri des regards, le ton change. Nezo sort un pistolet à billes d’acier et tire à bout portant sur Gabriel, une dizaine de fois. La scène amuse la petite bande. Puis viennent les coups, les décharges de Taser, les menaces : « J’ai envie de tuer » ; « On va te mettre dans un coffre et demander une rançon à tes parents. » Gabriel est dépouillé : écouteurs, manteau, chaussures, sac, téléphone, casquette… Les agresseurs s’emparent de son carnet de correspondance et photographie la page comportant son adresse : « Si tu parles à la police, on te retrouvera. » À seulement 16 ans, Nezo fait figure de meneur, mais les deux autres, deux “Blacks” que Gabriel n’a jamais rencontrés, se montrent tout aussi impitoyables.
Après lui avoir fait subir deux heures de calvaire, ils quittent les lieux après avoir “gazé” Gabriel. Qui, hébété, en pleine nuit, reste au beau milieu d’une cité inconnue, sans aucun moyen d’appeler à l’aide. Vers deux heures du matin, un passant l’aperçoit et le ramène à sa mère. Aux policiers, l’homme raconte : « Je vois un jeune courir vers moi au loin, il est pieds nus et en tee-shirt et il me demande s’il peut avoir mon téléphone pour appeler sa mère. Au début, je pensais que c’était une blague. » Ce n’est que le lendemain, quand il parvient à parler, que Christelle mesure l’ampleur du traumatisme. Une plainte est déposée contre X.
Quatre mois plus tard, par une après-midi ensoleillée de mai, nous retrouvons Christelle dans son appartement de Villeparisis, en Seine-et-Marne. Le quartier est relativement calme. Une motocross, sur une roue, avec un conducteur sans casque, vient parfois troubler le silence. « C’est l’arrivée des beaux jours », explique-t-elle.
L’impression de ne plus reconnaître la Seine-Saint-Denis
Gabriel est là, taiseux, presque résigné. Depuis l’agression, ses notes ont dégringolé, il est sur le point de rater son brevet. Sa mère s’angoisse pour tout : sa scolarité, sa santé mentale, et plus largement la dégradation de la situation en Seine-Saint-Denis. « J’ai grandi dans ce coin, j’aimais la mixité, mais ce n’est plus la même. Je voudrais déménager, mais il faut avoir les moyens, un emploi. Même Villeparisis est en train de changer. Ça devient comme Sevran. »
Christelle revient sur l’agression de son fils. Elle nous parle de son impression d’avoir été « pillée » comme au temps lointain des razzias. Elle a dû racheter un manteau à son fils, un téléphone, des chaussures, etc. Elle parle aussi de l’immigration, de l’islam qui s’impose par le nombre dans l’école publique où son fils est scolarisé, au point que celui-ci refuse de manger du porc. Il fut un temps où il se faisait même appeler Djibril. Il faut dire que l’établissement est loin de constituer un terrain de neutralité. « L’année dernière, l’administration a glissé un papier dans le carnet de correspondance pour savoir si nos enfants faisaient le ramadan ou non et s’il fallait en conséquence décompter les jours de cantine. C’est fou, c’est presque de l’incitation. Gabriel m’a dit qu’il voulait faire le ramadan, pour ne pas être le seul à aller déjeuner. » Elle soupire : « C’est pour s’intégrer. Je le comprends d’une certaine façon, j’aurais fait pareil. » Elle ne veut pas en dire plus, de peur qu’on la traite de raciste, alors qu’elle a des amis musulmans. Mais elle ne craint pas d’affirmer : « Si j’étais un homme, j’irais retrouver l’agresseur de mon fils et je lui péterais la gueule. »
Deux autres guet-apens dans les mois qui suivent
Car autre chose la perturbe : quatre mois après, les trois auteurs n’ont toujours pas été interpellés. Or, depuis, il y a eu deux autres guets-apens. Ils n’impliquent pas exactement les mêmes individus, mais, selon les informations obtenues par Valeurs actuelles, ils ont un point commun : Nezo a été reconnu par toutes les victimes et semble chaque fois être le chef d’orchestre.
Le deuxième a lieu le 21 février. Cette fois, la victime s’appelle Mehdi, 17 ans, venu du sud de la France pour rendre visite à son frère à Saint-Denis. À la gare, un jeune se présentant comme Marocain – et qui n’est autre que ledit Nezo – l’aborde, sort un couteau et l’oblige à le suivre. Deux complices encadrent Mehdi. Ils l’emmènent dans une tour, au septième étage, le dépouillent de son jogging et de son téléphone, qu’ils réinitialisent pour l’utiliser immédiatement. « Ils ne m’ont pas touché physiquement, mais ils m’ont menacé : “Ce soir tu ne vas pas rentrer chez toi, on va te taper. ” […] Ils m’ont dit : “ T’as de la chance d’être quelqu’un dans la religion, sinon on t’aurait frappé” », racontera la victime aux enquêteurs. Le groupe l’entraîne ensuite dans un restaurant halal, commande pour 70 euros, puis au cinéma, voir un film d’horreur, le tout payé par Mehdi, avant de le forcer à retirer de l’argent et de l’humilier en direct sur un live TikTok : « On vient de choper un mec d’Avignon avec son iPhone 14 ! » La prise d’otage dure plus de quatre heures. Mehdi sera relâché après minuit, menacé et traumatisé.
Forcé à boire son urine
Le troisième guet-apens survient le 24 avril. Hichem, 17 ans, croit avoir rendez-vous avec une fille rencontrée sur Snapchat. Sur place : pas de fille, mais des inconnus, certains cagoulés. « Avance ou on sort les katanas », le préviennent-ils. Ils le traînent au dixième étage d’une tour et le détroussent : écouteurs, parfum, cigarettes, survêtement, chaussures… Un homme récupère le butin et part le cacher, plus tard identifié comme étant, là encore, le fameux Nezo. Les autres en profitent pour le frapper : coups de pied, « deschassés dans la tête », coups de poing, claques, tout est filmé en direct. Ils le contraignent à baisser son caleçon face caméra et à répéter : « Je suis une p***, je suis une s***. » Terrorisé, il obéit. Quand il demande à uriner, on lui tend une bouteille remplie d’urine et on lui intime de boire. Il refuse. Menacé, il avale une gorgée. Son calvaire dure plus de deux heures, jusqu’à ce que Nezo ordonne sa libération.
Deux mois passent et, le 24 juin, la police frappe, enfin. Six mineurs et deux majeurs sont arrêtés, leurs logements perquisitionnés. Parmi eux, Nezo, interpellé dans une cité de Saint-Ouen un peu avant minuit. En garde à vue, il ricane, nie tout, prétend ne pas connaître ses complices. Les policiers doivent se retenir pour ne pas “lui en coller une”. D’autant que ce n’est pas la première fois qu’il se retrouve dans cette situation. Sa notice dans le fichier des antécédents judiciaires, bien fournie, commence à 14 ans, pour vol en réunion, violences, trafic de stupéfiants, dégradations… Quant à ses parents, ils semblent avoir manqué à leur devoir d’éducation depuis toujours. En 2016, alors que leur fils a 8 ans, ils sont visés pour délaissement de mineur. Huit ans plus tard, il fugue. Contactée par téléphone, sa mère nous raccroche au nez : « Ça ne vous regarde pas ! » Selon nos informations, Nezo est aujourd’hui détenu en attendant son procès à huis clos, prévu le 18 juillet.
En réalité, sur les huit interpellés, dont beaucoup sont connus de la police, seuls deux ont comparu devant le tribunal correctionnel. En l’occurrence, les deux majeurs soupçonnés d’être impliqués dans l’agression du jeune Gabriel : Harouna B. et Mohamed C. L’audience s’est tenue le 26 juin au tribunal judiciaire de Bobigny. Dans la salle se trouvaient Christelle et son avocat, mais aussi pléthore de jeunes gens venus soutenir les mis en cause… ou s’assurer qu’ils ne parleraient pas. Les deux hommes ont d’ailleurs gardé le silence et n’ont pas vraiment eu l’occasion de le rompre. Leur avocat a réclamé un délai pour préparer leur défense. L’affaire a été renvoyée au 28 août prochain.
La clémence du tribunal de Bobigny n’étonne plus personne
En attendant, le tribunal a décidé de les libérer sous contrôle judiciaire, y compris Harouna B., 21 ans, déjà en détention pour une autre affaire, liée aux stupéfiants, et qui devait être libéré ce jour-là sous bracelet électronique. Il n’en est pas, en effet, à ses premiers démêlés judiciaires. Il a été condamné à plusieurs reprises, notamment pour des vols en réunion, et paraît se soucier peu de la justice, puisqu’il ne se rend pas aux convocations envoyées par le juge d’application des peines chargé de son suivi.
Son complice présumé, arrivé en France depuis le Mali à l’âge de 5 ans, grâce au mécanisme du regroupement familial, a une dette de 1 800 euros au titre d’une amende judiciaire pour avoir violenté un policier en 2024. Pour les juges, cela n’a pas suffi à justifier une détention provisoire des deux hommes. Pas plus que les menaces proférées à l’encontre de Gabriel, malgré le risque qu’ils les mettent à exécution alors qu’ils connaissent l’adresse de son domicile. L’espoir d’une hypothétique réinsertion semble plus fort.
En Seine-Saint-Denis, la clémence du tribunal n’étonne plus personne. Pas plus les policiers du coin que les avocats. « Cette décision, c’est Bobigny dans toute sa splendeur », commente l’un de ces derniers. Le meneur, quant à lui, bien que mineur, ne bénéficiera pas du même traitement. Nezo a été jugé le 18 juillet dernier devant un juge pour enfant du tribunal de Bobigny. Compte tenu de son âge, l’audience s’est tenue à huit-clos. Il a été reconnu coupable et condamné à 30 mois d’emprisonnement dont 20 mois assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Les 10 mois fermes ont été appliqués immédiatement, avec maintien en détention. Dès sa sortie de prison, il devra se rendre dans un lieu de protection judiciaire pour la jeunesse et respecter une obligation de soin et suivre une formation professionnelle. Il a bien évidemment interdiction de reprendre contacts avec les coauteurs ou avec les victimes. En cas de non respect de ces obligations, son sursis probatoire pourra sauter. Sur le plan civil (c’est à dire l’aspect réparation/compensation financière) l’audience aura lieu le 26 février 2026 à 13h30.
Christelle, la mère de Gabriel, nous a confié sa satisfaction face à ce verdict. D’autant que son fils a pu se confier sur les traumatismes et qu’il a pu recevoir des excuses. Leur avocat, Me Louis Cailliez, commente: « le Tribunal n’a pas été dupe de sa pitoyable tentative de se défausser sur les majeurs et de minimiser son implication, alors qu’il a sciemment et activement participé à des actes abjects et répétés qui démontrent une indifférence inquiétante aux principes de base de la dignité humaine. »
